XXXII
Très loin au-dessous de la surface de la Terre, dans un appur à loyer infime, et d’une grisaille infinie aménagé dans un immeuble souterrain – le plus atroce de tous – faisant partie de la banlieue qui entourait la Forteresse Washington, Surley G. Febbs s’installa à l’extrémité d’une table bancale qu’entouraient cinq individus didasialiques, – mot grec, se dit-il, qui signifie « élèves ».
Cinq personnes différentes, mais bien assorties, plus lui-même. L’Univox-50R, l’ordinateur officiel du gouvernement, les avait toutes choisies, et personne d’autre, pour représenter les besoins et les tendances authentiques du purzouve-consommateur moyen.
Cette réunion secrète des six aides-consomm nouvellement requis était d’une illégalité telle qu’il n’y avait plus de mot, en 2005, pour la définir.
Debout, Febbs frappa trois coups secs sur la table d’une main nerveuse :
— La séance est ouverte !
Il mesura lentement du regard la partie visible de chacun d’eux, pour que tous aient pleinement conscience de sa supériorité de chef. C’était lui, après tout, qui les avait invités de la manière la plus prudente possible, en prenant toutes les précautions qu’un esprit humain d’une intelligence unique (le sien) avait pu imaginer, à se réunir dans cette pièce crasseuse.
Chacun d’eux était attentif, mais nerveux à la pensée que le FBI ou la CIA, ou même la KACH, pouvait soudain défoncer la porte et faire irruption en dépit des précautions de sécurité imaginées par leur chef, Surley G. Febbs.
Les bras croisés, les pieds largement écartés pour démontrer de façon convaincante qu’il était solidement planté sur place et que rien ne l’en délogerait, même la force des baïonnettes, c’est-à-dire celle des sbires salariés du régime, Febbs prit enfin la parole :
— Comme vous le savez, ce que nous faisons est illégal. Des aides-consomm ne doivent pas se connaître de nom. Nous allons donc ouvrir la séance en disant chacun le nôtre.
Du doigt, il désigna la femme assise à côté de lui. Émue, elle fit un couac en se présentant :
— Martha Raines.
Le doigt de Febbs montra la personne suivante :
— Jason Gill.
— Harry Markinson.
— Doreen Stapleton.
— Ed L. Jones.
Le dernier avait parlé d’une voix particulièrement ferme. C’en était fait. En dépit de la législation du Bloc-Ouest et de toutes ses polices officielles et parallèles, chacun d’eux savait désormais ce qu’étaient les autres.
Par une ironie du sort, une fois le péril passé, le Conseil de la Secnat de l’ONU-O les avait « autorisés » à pénétrer dans le Kremlin pour participer à ses débats. Cela pour une bonne raison, se dit Febbs en regardant ses compagnons : chacun d’eux, individuellement, ne possédait rien, n’était rien. Et le conseil le sait. Mais à nous six…
Il prit son ton de chef pour poursuivre à voix haute :
— Maintenant, commençons. Chacun de vous a apporté ici l’élément, qui lui a été confié, de la nouvelle arme N°401, dénommée « L’invertisseur de radiations moléculaires polyphasé ». J’ai constaté que chacun de vous, en entrant, portait sous le bras un carton ou un sac en papier plastique d’aspect aussi neutre que possible. Est-ce bien cela ?
Les cinq aides-consomm inclinèrent la tête ; deux ou trois d’entre eux murmurèrent un « oui, monsieur Febbs » presque incompréhensible. En fait, chacun d’eux avait déposé son paquet ou son sac sur la table, juste devant lui.
D’une voix soudain tremblante d’émotion, mais résolue, Febbs ordonna :
— Ouvrez vos paquets.
Précipitamment, les doigts tremblants, tous obéirent.
Six pièces de machines, toutes déjà d’une grande complexité, apparurent sur la table. En admettant que quelqu’un dans cette pièce pût les assembler comme il le fallait, le groupe des six aides-consomm allait se trouver en possession du terrible « Invertisseur de radiations moléculaires polyphasé ».
D’après les enregistrements réalisés par Lanferman Associates dans leurs énormes laboratoires souterrains, aucune défense n’existait contre une telle arme. Tous les membres du Conseil de la Secnat de l’ONU-O, y compris les six aides-consomm nouvellement promus, avaient assisté solennellement à la présentation de ces enregistrements. Febbs s’éclaircit la voix :
— C’est à moi qu’il revient naturellement la tâche de reconstituer l’ensemble de l’arme à partir des éléments qui la composent et que voici. Comme vous le savez, la prochaine réunion du Conseil aura lieu exactement dans une semaine. Nous avons donc moins de sept jours pour faire ce travail. Une voix flûtée s’éleva, celle de Jason Gill.
— Désirez-vous que nous restions avec vous pendant que vous reconstituerez l’arme N°401, monsieur Febbs ?
— Je n’y vois pas d’inconvénient.
Ed Jones intervint à son tour :
— Pouvons-nous vous offrir des suggestions ? Si je pose cette question, c’est que ma véritable profession – avant d’être promu aide-consomm – était électricien à la General Electric de Détroit. Si bien que je m’y connais un peu en électronique.
Febbs prit le temps de réfléchir :
— Vous pourrez m’offrir vos suggestions, je vous y autorise. Mais vous devez vous rappeler notre pacte. En tant qu’organisation crypto-politique, nous avons un chef, et ce chef doit décider de la voie à suivre et des mesures à prendre sans que ses décisions se heurtent à des obstacles et manœuvres bureaucratiques. Dac ?
Ensemble, tous murmurèrent :
— Dac.
Ce chef élu, disposant de tous les pouvoirs sans aucune restriction bureaucratique, c’était Febbs, évidemment. Il se trouvait ainsi à la tête du P.R.L.C.E.S.P.E. – M.E.L. qu’il avait fondé avec les cinq autres membres, ou encore Parti de la Restitution des Libertés Constitutionnelles et de la Suppression de la Petite Élite Malfaisante Ennemie de ces Libertés. (Le Tout par la Force Si Nécessaire = T.F.S.N., quatre lettres tenues secrètes). À eux six, ils formaient la cellule Numéro Un.
Prenant l’élément d’Ed Jones et le sien, Febbs s’assit et commença à puiser dans le coffre qui contenait les outils flambant neufs que l’organisation s’était procurés à prix d’or. Il choisit un long tournevis mince, conique, tournant automatiquement dans un sens ou dans l’autre suivant la pression exercée sur le manche en plastique, et il se mit au travail.
Respectueusement, les cinq autres membres du P.R.L.C.E.S.P.E.M.E.L. (T.F.S.N. pour les initiés), le regardèrent.
Une heure plus tard, Surley G. Febbs, grognant et suant, s’arrêta pour respirer et s’essuyer le front de son mouchoir :
— Cela demandera du temps. Ce n’est pas facile. Mais nous y arriverons.
Marthe Raines était très nerveuse :
— J’espère qu’un éclaireur autonome de la police ne croise pas par hasard au niveau de la surface et ne surprendra pas nos pensées.
Très poliment, Jones leva le doigt, puis indiqua un détail :
— Hem… il me semble que ce truc doit s’adapter à cette pièce cintrée. Regardez ces trous de vis…
— C’est possible, fit Febbs avec dignité. Cela me ramène à une idée que j’avais l’intention de vérifier plus tard. Mais puisque nous faisons une pause d’un instant, il est préférable que je vous affranchisse sans plus attendre. »
Il jeta un regard à la ronde pour s’assurer qu’il avait obtenu l’attention totale de chacun d’eux, puis prit un ton de voix aussi autoritaire que possible, c’est-à-dire extrêmement autoritaire, compte tenu de ses capacités et de ses connaissances :
— … Je veux que vous compreniez tous très clairement quel sera le type exact de société bi-polaire au point de vue économique et social que nous voulons installer à la place de celle, antidémocratique, que dirige l’élite appelée les Cadres, et qui détient tous les pouvoirs.
— Allez-y, Febbs ! s’exclama Jones pour l’encourager.
Jason Gill lui aussi était enthousiaste :
— Dites-le nous encore une fois ! Ça me met du cœur au ventre de vous entendre exposer ce qui se passera une fois que nous aurons pris le pouvoir grâce à cette arme 401.
Avec un calme superlatif, Febbs poursuit :
— Naturellement, tous les membres du Conseil de la Secnat de l’ONU-O seront jugés pour crimes de guerre. Nous sommes tous d’accord sur ce point.
— Dac !
— C’est l’article A de notre constitution. Quant au reste des Cadres, particulièrement ces salauds de communistes de Pip-Est, avec lesquels ce traître qu’est le général Nitz est si copain, ce maréchal Paponovitch ou quel que soit son nom… eh bien, comme je vous l’ai expliqué au cours de nos réunions secrètes ici-même…
— Allez-y, Febbs !
— Ils auront ce qu’ils méritent. Car ils sont la pire des saloperies. Mais au préalable, et je demande sur ce point une obéissance absolue, car c’est un point tactiquement crucial – il reprit sa respiration après cette belle phrase – nous devrons nous assurer d’abord le contrôle de la TOTALITÉ DES INSTALLATIONS SOUTERRAINES DE LANFERMAN ASSOCIATES EN CALIFORNIE, parce que nous savons tous que c’est de là que viennent toutes les armes nouvelles. Comme cet article 401 que ces imbéciles nous ont stupidement remis en pièces détachées, pour que nous – ha, ha, ha – le dépiautions.
Martha Raines demanda timidement :
— Et après nous être emparés de Lanferman Associates, que ferons-nous ?
— Aussitôt après, nous procéderons à l’arrestation de leur compère, ce Lars Powderdry. Et nous le forcerons à dessiner des armes pour nous.
Harry Markinson, homme d’affaires dans la quarantaine et doué d’une certaine quantité de bon sens, prit la parole :
— Mais l’arme par laquelle nous avons gagné ce qu’on appelle désormais la Grande Guerre…
— Parlez, Markinson.
— Cette arme n’a pas été dessinée par la S.A.M. Lars. À l’origine, c’était une sorte de labyrinthe inventé par un homme qui n’était même pas cadre, un outsider dans la fabrication des jouets. Alors, ne devrions-nous pas également garder ce Vincent Klug…
Calmement, Febbs l’interrompit :
— Écoutez, Markinson, le moment venu, je vous donnerai tous les renseignements là-dessus. Mais pour l’instant, je suis occupé.
Prenant un petit tournevis suédois d’horloger, il se remit à sa tâche, ignorant les cinq autres aides-consomm. L’heure n’était plus aux bavardages. Si la guerre-éclair contre les cadres devait être couronnée de succès, et elle le serait, il fallait d’abord s’armer.
Trois heures passèrent. Tous les éléments étaient maintenant en place, à part le dernier qui se terminait par une sorte de col de cygne vraiment étrange. Febbs était trempé de sueur et les cinq autres aides-consomm s’endormaient sur place ou s’énervaient, suivant leur nature. Brusquement, quelqu’un frappa à la porte. Un silence de mort régna aussitôt dans la pièce.
— Laissez-moi faire, dit Febbs, laconiquement. Il prit dans la boîte à outils un marteau à l’équilibre parfait, en acier suisse chromé, et se dirigea lentement vers la porte qu’il déverrouilla et ouvrit brusquement.
En face de lui, dans le couloir à peine éclairé, un robot facteur en uniforme de Courrier Instantané, attendait, immobile :
— Un colis pour M. Surley G. Febbs, recommandé. Signez ici si vous êtes M. Febbs lui-même, et sur la ligne suivante, si vous prenez le paquet pour lui.
Il présentait simultanément un paquet, le cahier des recommandés disposé sur une sorte d’écritoire auquel était attaché un stylobille.
Se débarrassant de son marteau, Febbs se retourna brièvement vers les cinq autres aides-consomm :
— Tout va bien. Probablement des outils supplémentaires que nous avons commandés.
Il signa le cahier, et le robot automatique lui tendit un paquet enveloppé dans du papier-kraft de couleur brune.
Une fois la porte refermée, Febbs se sentit trembler de tous ses membres. Mais il se redressa très vite, courageusement, dans une attitude de défi. Puis il revint à sa place, l’air assez indifférent pour donner le change.
— Bravo, Febbs ! Vous êtes un homme ! déclara Ed Jones, exprimant ainsi les sentiments unanimes de leur groupe. J’étais sûr que c’était un des commandos d’intervention de la KACH.
Harry Markinson, qui respirait enfin librement, crut bon de donner son avis :
— En ce qui me concerne, j’ai pensé à la KVB, cette sale police secrète soviétique. Car j’ai un beau-frère qui vit juste en Estonie et qui m’a dit…
Febbs coupa court à ses confidences :
— La vérité est qu’ils ne sont pas assez intelligents pour découvrir nos réunions. Ils sont condamnés par l’histoire. Ils seront éliminés par l’évolution même des choses, pour laisser la place libre à des organismes supérieurs.
— Vous n’avez qu’à voir le temps qu’ils ont mis pour trouver une arme capable de nous débarrasser de ces négriers venus de Sirius, confirma Jones.
— Que contient ce paquet ? demanda Markinson.
— Chaque chose en son temps, répliqua Febbs, toujours sentencieux.
D’un seul coup, il avait adapté l’élément en col de cygne au reste de l’arme N°401, désormais complète. Au-dessus d’elle, il épongea son front d’où la sueur ruisselait encore plus. Gill fut le premier à se ressaisir :
— Quand passons-nous à l’action, Febbs ?
Tous fixèrent les yeux sur lui, attendant sa réponse. Il s’en rendit soudain compte et, comme par enchantement, redevint maître de lui-même.
— J’étais en train de penser… dit-il, plus Febbs que jamais.
Et c’était vrai. Il prit l’arme N°401, enfin prête à fonctionner et l’assura dans sa main, l’index sur la détente.
— Je vous ai fait venir tous les cinq parce que j’avais besoin des six éléments pour reconstituer l’arme. Mais maintenant…
Il appuya sur la détente. Du col de cygne devenu canon, un rayonnement invisible démolécularisa simplement les cinq autres aides-consomm assis de part et d’autre de la table.
Cela eut lieu sans bruit, instantanément, comme il l’avait prévu, comme l’avaient montré les enregistrements de Lanferman Associates lors de leur présentation au Conseil.
Désormais, le P.R.L.C.E.S.P.E.M.E.L. (T.F.S.N.) ne se composait plus que du seul Surley G. Febbs. Il était armé de l’arme la plus moderne, la plus puissante, la plus complexe – donc la plus à la mode – du monde, une arme à la fois instantanée et sans bruit, contre laquelle il n’y avait pas de défense possible, même de la part de Lars Powderdry dont c’était pourtant le métier.
Car, se dit-il, c’est maintenant votre tour, M. Lars. Je n’ai pas besoin de vous non plus.
Ses mains ne tremblaient pas quand il reposa calmement l’arme, ni quand il alluma une cigarette. Son seul regret était qu’il n’y eût personne dans la pièce pour apprécier la précision, le calme et la rationalité de ses mouvements. Personne, sauf lui.
Alors seulement, parce qu’il avait enfin du temps devant lui, Febbs prit le paquet enveloppé de papier kraft brun que le robot lui avait remis en mains propres. Il l’ouvrit lentement, sans se presser, son esprit infiniment subtil absorbé par l’avenir infiniment glorieux qui allait être le sien.
Le contenu du paquet une fois défait l’intrigua soudain : il n’y avait là aucun outil additionnel, rien que le P.R.L.C.E.S.P.E.M.E.L. (T.F.S.N.) eût commandé. En fait, c’était un jouet.
Et, en soulevant le couvercle de la boîte cartonnée illustrée en couleurs brillantes et amusantes, il put lire qu’il s’agissait d’une création des Entreprises Klug, fabrique de jouets d’ordre vraiment secondaire. Un jeu de société, sans doute ? Même pas : un DEDALUSMAN. Immédiatement, à un niveau purement instinctif – car il n’était quand même pas un homme tout à fait ordinaire – il ressentit un malaise à la fois diffus et aigu, pénétrant. Mais pas assez cependant pour l’inciter à jeter la boîte loin de lui, comme il en avait eu l’envie. Sa curiosité habituelle l’emporta.
Du premier coup d’œil, il avait compris que ce n’était pas là un labyrinthe courant. Il y avait là un mystère capable de captiver son esprit agile, avide de connaître. Si bien qu’il continua à contempler le labyrinthe et le mode d’emploi enregistré sur la face intérieure du couvercle.
Une voix télépathique, émanant du labyrinthe lui-même, résonna soudain dans son cerveau :
— Vous êtes le plus grand aide-consomm qu’il y ait jamais eu au monde. Vous êtes Surley G. Febbs, n’est-ce pas ?
— C’est bien moi, répondit Febbs.
— C’est vous qui décidez de l’utilité d’introduire sur le marché une nouveauté quelconque ?
Prudence, prudence, murmurait une autre voix à l’intérieur de lui-même. Malgré tout, Febbs se laissa aller à répondre :
— C’est moi. Tout passe d’abord par mes mains. Les autres examinent, avec le Conseil et avec moi-même, ce que je n’ai pas écarté. Je suis l’aide-consomm A. Et ensuite c’est à moi qu’on donne les éléments les plus importants pour que je les « dépiaute ».
La voix télépathique reprit :
— M. Vincent Klug, des Entreprises Klug, firme de seconde importance jusqu’à présent, serait donc très honoré, monsieur Febbs, si vous examiniez ce nouveau jeu : DEDALUSMAN. À votre opinion d’expert, peut-on le lancer tel quel sur le marché ? Vous pourrez enregistrer vos réactions simplement en parlant.
Encore hésitant, Febbs demanda :
— Vous voulez que je joue moi-même ?
— Exactement, monsieur Febbs. Enfoncez le bouton rouge sur le côté droit du labyrinthe.
Machinalement, Febbs enfonça le bouton rouge.
À l’intérieur du labyrinthe, une créature minuscule poussa un glapissement d’horreur.
Febbs, surpris, sursauta. Cette créature minuscule, toute rondelette, était simplement adorable. Lui qui normalement détestait les animaux – pour ne pas parler des humains – se sentit pris de compassion. Car il la voyait se précipiter dans le dédale du labyrinthe, cherchant frénétiquement à en sortir.
Placidement, la voix télépathique poursuivait ses explications :
— Vous remarquerez que cet article, fabriqué pour le marché domestique et qu’on pourra produire en grande série s’il obtient votre approbation lors des tests initiaux officiels, ressemble énormément au « Labyrinthe empatho-télépathique pseudo-homo non-ludens », création des Entreprises Klug et qui fut récemment utilisé comme arme de guerre. N’est-ce pas ?
— Ou-i, bégaya-t-il.
Mais son attention était déjà captivée par les travaux et les souffrances de cette petite créature rondelette. Elle courait d’échec en échec, de plus en plus désespérée, perdue, égarée dans un dédale tortueux qui se modifiait à chaque seconde passée.
C’était à croire que plus elle s’acharnait, plus elle se noyait dans un océan de pièges. Ce n’est pas juste, pensa ou plutôt ressentit Febbs. Car il ressentait une souffrance, une souffrance véritable. Il fallait faire quelque chose, intervenir, maintenant, tout de suite.
— Hé ! comment puis-je tirer cet animal de là ?
Sa voix était faible, lui sembla-t-il. L’autre voix, toujours la même, lui répondit :
— Il existe sur le côté gauche du labyrinthe un bouton d’un bleu très gai. Enfoncez-le, monsieur Febbs.
Il appuya sur le bouton avec toute son énergie.
Il ressentit aussitôt – ou crut ressentir (il n’arrivait plus très bien à démêler ses sensations) – une diminution de la terreur qui affolait l’animal pris au piège.
Mais l’instant d’après, cette terreur était revenue, décuplée lui sembla-t-il, insupportable. Et la voix télépathique, toujours aussi placide, reprit :
— Vous voudriez sauver DEDALUSMAN, monsieur Febbs, n’est-ce pas ? Soyez francs. N’essayons pas de nous induire en erreur, monsieur Febbs. La vérité, s’il vous plaît.
Un souffle sortit des lèvres de Febbs tandis qu’il hochait la tête, comme hypnotisé :
— Oui. Il faut le sauver. Mais ce n’est pas un homme. C’est un animal, une sorte d’insecte. Pas un homme, sûrement ! Enfin, qu’est-ce que c’est ?
Il voulait savoir ; il y avait là un secret qui lui permettrait peut-être de tirer cette créature de là. En dirigeant ses mouvements d’en haut, peut-être ? Donc, en communiquant avec elle et en essayant, d’où je suis, de la guider, pour son bien. De plus en plus affolée, la créature rebondissait d’un obstacle à l’autre tandis que la structure, la conformation du labyrinthe, changeait, changeait, changeait sans cesse.
— Hé ! hurla-t-il. Hé là ! Qui es-tu ? Qu’est-ce que tu es ? Comment t’appelle-t-on ?
— Par mon nom !
Ce cri de souffrance lui parvint télépathiquement, le liant désormais indissolublement aux vains efforts de la créature prisonnière, à son épouvante croissante.
D’un seul coup, il se sentit pris au piège lui aussi. Car il ne voyait plus les obstacles d’en haut, mais devant lui, au-dessus de lui, autour de lui. Il se heurtait à eux, rebondissait de l’un à l’autre.
Il était DEDALUSMAN. Et il continuait à s’adresser à l’entité énorme, inconcevable pour lui, qu’il entrevoyait penchée sur lui, dont il avait pressenti la présence, une présence qui s’estompait, disparaissait. Il était seul, seul, au milieu des parois qui se modifiaient, se transformaient sans cesse.
— Je m’appelle Surley G. Febbs, hurlait-il, et je veux sortir d’ici. M’entendez-vous ? Qui que vous soyez, vous là-haut, aidez-moi, aidez-moi, je vous en supplie. Faites quelque chose pour moi !
Mais en dehors de lui, tout se taisait. Il n’y avait rien là-haut, rien ni personne qui pût le secourir.
Et il ne s’était pas arrêté, et il ne s’arrêterait jamais, de courir de droite et de gauche, ni de se heurter aux obstacles qui se dressaient devant lui.